Marika Talbi

Marika Talbi
CONSULTANTE SENIOR ASSURANCE HARDIS GROUP

La réforme des retraites 2023, adoptée le 20 mars à l’Assemblée nationale par l’utilisation controversée de l’article 49-3, prévoit plusieurs évolutions majeures de notre système de retraite par répartition. Cette réforme, aura des impacts sur toute une partie du secteur de l’assurance et notamment en prévoyance. Nous vous proposons un rapide tour d’horizon de ce à quoi nous pouvons nous attendre.

LA RÉFORME EN BREF

La réforme est portée par un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (PLFRSS). Voici un résumé des principales dispositions prévues par le texte.

64 ans

Le recul progressif de l’âge de départ de 62 à 64 ans d’ici 2030.

172 trimestres

L’allongement de la durée de cotisations à 43 ans (172 trimestres) pour bénéficier d’une retraite à taux plein dès 2027.

67 ans max

Le maintien de l’âge de 67 ans pour partir en retraite avec un taux plein, quel que soit le nombre de trimestres.

L’aménagement du régime du départ en retraite anticipée pour carrière longue

• Départ possible à 58 ans pour ceux qui ont commencé à travailler avant 16 ans ;

• À partir de 60 ans pour les débuts de carrières entre 16 et 18 ans ;

• À partir de 62 ans pour ceux qui ont commencé entre 18 et 20 ans ;

• À partir de 63 ans pour ceux qui ont commencé entre 20 et 21 ans.

Départ à taux plein maintenu à 62 ans

Pour les personnes en situation d’invalidité ou d’inaptitude (60 ans pour accident du travail ou maladie professionnelle), et à compter de 55 ans pour les travailleurs en situation de handicap.

85% du SMIC net

La revalorisation du minimum de pension à 85 % du SMIC net, soit 1 200 euros bruts.

La fin progressive des régimes spéciaux par “uniformisation”

Sont concernés les régimes de retraite de la RATP, de la branche industrie électriques et gazières, des clercs de notaires ainsi que celui de la Banque de France et des membres du Conseil économique, social et environnemental (CESE).

Compte Professionnel de Prévention remanié

Par ailleurs, le Compte Professionnel de Prévention (C2P) sera remanié afin de permettre de valider plus de droits pour mieux tenir compte des spécificités de certains métiers.

Élargir le dispositif de retraite

Il est également prévu d’élargir le dispositif de retraite progressive pour compenser l’allongement de la durée de cotisations.

Femme à domicile teletravail

Quels impacts dans le secteur de l’Assurance ?

Plusieurs impacts sont à prévoir dans le secteur de l’assurance et, bien que pour certains produits des mesures sont à anticiper afin de palier une augmentation du risque, pour d’autres cette réforme pourrait apporter de nouvelles opportunités.

Faisons tout d’abord le point sur le marché de la prévoyance, qui couvre les risques incapacité de travail, invalidité et décès.

Le recul de l’âge légal de départ à la retraite induit automatiquement un vieillissement de la population active qui se traduit par 2 risques principaux :

  • Une hausse de l’absentéisme et notamment des arrêts longs qui ont tendance à augmenter avec l’âge. En 2021, le taux d’absentéisme des plus de 56 ans, tous secteurs confondus, était de 9% selon le baromètre absentéisme et engagement d’Ayming contre moins de 5,35% sur les catégories d’âges inférieures à 40 ans. En reculant l’âge de départ à la retraite le risque d’absentéisme augmente donc, ce qui implique forcément une hausse de la sinistralité pour les organismes assureurs.
  • Une augmentation mécanique de la probabilité de survenance du risque décès liée notamment à l’allongement de la période de couverture du risque, sur une population qui est plus impactée que la population moyenne. Avec une augmentation de la sinistralité, tant en incapacité qu’en décès, les assureurs vont devoir prévoir une augmentation significative de leurs provisions et anticiper une dégradation progressive de leur P/C (ratio Prestations/Cotisations), alors que certains organismes peinaient déjà à redresser la barre.

Toutefois, en maintenant l’âge de départ à taux plein pour les personnes en situation d’invalidité ou d’inaptitude, l’impact est quelque peu « limité ». Sans cela, un coût supplémentaire de 1,8Md€ aurait été ajouté à la note pour financer l’augmentation de la durée des pensions d’invalidité pour 160 000 bénéficiaires supplémentaires.

Sans surprise, une hausse des cotisations est donc attendue afin de pouvoir palier en partie cette augmentation du risque. Malakoff Humanis l’estime à 6% au global, étalée sur 7 ans entre 2023 et 2030.

Mais ce n’est pas la seule action possible et l’unique augmentation des cotisations ne pourra vraisemblablement pas suffire à compenser ce surcoût et continuer à rétablir l’équilibre technique des produits de prévoyance. Depuis plusieurs années, les assureurs comme leurs entreprises clientes – s’intéressent également aux leviers permettant de limiter le risque d’absentéisme tels que :

  • L’identification des causes de l’absentéisme et la mise en place d’action de prévention autour des risques majeurs (Trouble Musculo Squelettique, Risque Psycho Sociaux, Accidents du travail, désengagement, etc.) ;
  • Le contrôle des arrêts ;
  • L’accompagnement au retour à l’emploi ;
  • La mise en place de dispositifs d’aménagement de fin de carrière ;
  • Etc.

Les efforts vont donc certainement se poursuivre dans ce sens afin de limiter au mieux la sinistralité et contenir les impacts de cette nouvelle réforme sur leur résultat technique.

Outre le marché de la prévoyance, un autre produit d’assurance est directement impacté par cette réforme, il s’agit de la retraite supplémentaire qui, contrairement au premier, peut potentiellement y voir de nouvelles opportunités.

Tout d’abord, le recul de l’âge légal de départ à la retraite induit automatiquement 2 faits :

  • L’allongement de la durée de cotisation et de la période de capitalisation des sommes versées
  • La diminution de la durée de versement des rentes

Même si les assureurs en épargne retraite vont devoir faire quelques ajustements pour s’adapter 12 à ces changements, nous pouvons déjà imaginer une diminution de leur besoin en provision technique et donc l’amélioration de leur solvabilité.

Mais la véritable opportunité se trouve dans la prise de conscience pour beaucoup de français de la limite du système de retraite par répartition et le besoin de mieux préparer sa retraite et de se rassurer en se tournant vers des solutions d’épargne, à titre personnel ou via son entreprise.

De nombreux organismes se positionnent d’ores et déjà et profitent de ce contexte pour communiquer sur leurs solutions.

Il est possible que nous nous orientions vers une démocratisation de l’épargne retraite et prenions la voie d’un mix de retraite par répartition et par capitalisation dans les prochaines années.

Et la complémentaire santé dans tout ça ?

Bien que ce ne soit pas le produit d’assurance le plus impacté par cette réforme, le vieillissement de la population active va toutefois avoir une incidence sur les résultats des complémentaires santé collective.

En effet, comme en prévoyance, nous constatons un accroissement du risque avec l’âge. La DRESS (Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques du ministère de la Santé) estime que les dépenses de santé augmentent en moyenne de 16% entre 61 et 65 ans.

Cela va, de fait, engendrer une dégradation progressive des résultats techniques des contrats collectifs, potentiellement compensée par une hausse des cotisations pour reporter ce surcout sur l’ensemble des cotisants.

Enfin, cette réforme va certainement venir impacter la sinistralité de l’assurance emprunteur.

Le report à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite va avoir des conséquences positives sur le crédit immobilier, puisque les banques vont pouvoir prendre en compte 2 années supplémentaires de revenus professionnels, ce qui joue donc sur le pouvoir d’achat immobilier des emprunteurs.

Mais qui dit crédit immobilier dit aussi assurance emprunteur, qui a pour objectif de couvrir principalement les risques d’incapacité, invalidité ou décès. Et, comme nous l’avons vu sur le volet de la prévoyance, ces risques augmentent avec l’âge ce qui induit donc une future hausse de la sinistralité de ces produits.

Là où certains assureurs pourront potentiellement absorber cette hausse sur leur marge technique, d’autres seront certainement obligés de la répercuter sur leurs tarifs.

Ces derniers vont devoir dès à présent trouver les solutions pour anticiper, compenser, voire limiter une hausse de la sinistralité.

“Cette réforme va donc, dans les prochaines années, avoir un impact significatif sur les résultats techniques et la solvabilité des assureurs.”

Leave a Reply