Le marché de l’assurance emprunteur et les établissements bancaires, un amour de longue date
Le marché de l’assurance emprunteur était estimé à 10,3 milliards d’euros de primes en 2020 d’après les chiffres de France Assureurs (Fédération Française de l’Assurance) dont environ 69% des contrats qui viennent en couverture de prêts immobiliers.
En dépit des lois appliquées qui visent à permettre au client de changer librement d’assurance emprunteur (voir figure n°1), ce quasi-oligopole a peu évolué entre 2017 et 2019 avec environ 85 % des contrats couverts par les réseaux bancaires selon les chiffres communiqués dans l’enquête du Comité Consultatif du Secteur Financier (CCSF) de 2020.
Une explication probable serait que les assurés manquent encore de culture dans ce domaine comme le révèle l’enquête menée en avril 2021 par l’association UFC Que Choisir avec 35% des emprunteurs interrogés qui n’étaient pas informés de leurs droits à changer d’assurance sans changer de banque et pour les autres, plus des trois quarts ne savaient pas quand il était possible de le faire.
Une situation contrastée entre les groupes bancaires
Une forte disparité demeure entre les résultats des réseaux bancaires dont la part de contrats groupes sur les ventes peut aller du simple au quintuple (voir figure 2). Dans l’étude du Comité Consultatif du Secteur Financier (CCSF) de 2020, les représentants des deux banques dont la part des ventes de contrats internes sont les plus élevés expliquent ces chiffres par l’adoption de stratégies commerciales et tarifaires ciblées : segmentation tarifaire importante, politique de dérogations tarifaires, alignement systématique sur les offres concurrentes.
Pourquoi un tel intérêt sur le marché de l’assurance emprunteur ?
La rentabilité brute des contrats d’assurance emprunteur a été estimée à environ 68% selon les chiffres reportés par l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) lors d’une conférence en novembre 2018. En d’autres termes, pour 100€ de prime payée par l’assuré, seulement 32€ seront utilisés par la compagnie d’assurance au titre de l’indemnisation des sinistres. En comparaison, ce montant grimpe à 66€ dans le cas des contrats de prévoyance et même 68€ pour l’assurance habitation. Cette rentabilité record est un argument fort pour expliquer d’une part la concurrence constatée ces dernières année sur le marché entre les différents assureurs, et d’autre part les actions du gouvernement et du législateur pour accélérer l’ouverture du marché et ainsi permettre de diminuer le coût de l’assurance crédit pour les emprunteurs.
Contenu de la loi Lemoine et perspectives
La loi n°2022-270 du 28 février 2022, contient deux titres, n°1 – DROIT DE RÉSILIATION À TOUT MOMENT DE L’ASSURANCE EMPRUNTEUR ET AUTRES MESURES DE SIMPLIFICATION et n°2 – DROIT À L’OUBLI ET ÉVOLUTION DE LA GRILLE DE RÉFÉRENCE DE LA « CONVENTION AERAS », réparties dans un total de dix articles dont le contenu est résumé dans la figure 2 ci-après.
Bien que Olivier DUSSOPT, ministre chargé des Comptes publics, ait évoqué un gain d’environ 550 millions d’euros pour les assurés, aucune étude à date ne permet d’estimer la portée réelle et l’impact de cette loi pour les assurés.
Ce qui est certain, c’est que la révision des conditions du dispositif du Droit à l’Oubli ainsi que la suppression de saisie du Questionnaire de Santé dans certains conditions, va réduire le risque pour certains assurés : 1/ de se voir refuser purement et simplement la souscription d’une couverture d’assurance pour leur emprunt, 2/ d’avoir un refus ou une limitation de garantie (exclusion) et/ou 3/ d’avoir une augmentation tarifaire pouvant représenter jusqu’à plusieurs fois la tarification de base d’une garantie (surprime).
En période de taux de crédit historiquement comme actuellement, le coût de l’assurance emprunteur en cas de surprime ou de surrisque peut très nettement dépasser le coût des intérêts du crédit immobilier.
Cette facilité d’accès à l’assurance emprunteur va mécaniquement se traduire par une augmentation « statistique » du risque de sinistre dans les portefeuilles des assureurs qui devront donc faire un choix : 1/ Maintenir un même niveau de rentabilité avec l’augmentation du tarif des primes d’assurances proportionnellement à ce nouveau coût du risque ou 2/ Accepter et subir une diminution drastique de leurs marges en maintenant leurs grilles tarifaires actuelles. Bien que selon le sénateur Daniel GREMILLET « le risque réputationnel incitera les assureurs à ne pas entamer une spirale haussière des prix », le scénario n°1 paraît le plus probable.
Pour les banques assureurs, qui détiennent la plus grande part de marché de l’assurance emprunteur comme mentionné plus haut, l’incertitude principale porte sur l’ampleur du phénomène à venir : Sera-t-il massif avec des demandes de résiliation plus nombreuses et un risque de perte de Produit Net Bancaire très significatif ou à l’inverse, dans la même tendance que celle observée ces dernières années, les volumes resteront relativement faibles malgré les possibilités dont bénéficient les assurés ?
Des impacts nombreux
En raison des deux volets principaux de la loi que sont la résiliation à tout moment et la simplification des modalités d’adhésion à l’assurance emprunteur, et le court délai pour se mettre en conformité, l’impact est sans précédent.
À l’analyse des différents impacts, il paraît évident que l’agilité des organisations et leurs capacités à adapter rapidement leurs modèles à une révision permanente des contraintes régaliennes, deviennent des paramètres critiques. Pour faire face à ces changements de « règles du jeu », l’adoption de technologies et d’outils innovants peut se révéler être une stratégie payante voir simplement indispensable :
- Lecture et Reconnaissance Automatique des Documents (LADRAD) combinées à de l’Intelligence Artificielle (IA) pour reconnaitre et classer en GED automatiquement un contrat d’assurance emprunteur concurrent et les autres documents de résiliation, puis en extraire les données utiles, pour tracer la demande du client et éditer l’avenant de crédit.
- Robotisation des tâches métier (RPA, Robotic Process Automation) habituellement réalisées à la main comme par exemple la résiliation du contrat d’assurance emprunteur dans l’outil de gestion ou bien l’automatisation les opérations comptables et financières suite à la rétrocession des primes trop perçues au client. L’industrialisation de ces processus représente un potentiel élevé en termes de retour sur investissement (ROI) et permet de répondre aux enjeux de conformité et de délai de réponse.
- Signature Électronique des avenants pour améliorer une nouvelle fois la conformité mais également la satisfaction client.
- Etc.
Les auteurs
Mickael Charbert
Consultant Assurance
Laurent Chaillou
Consultant Assurance